pissenlits 30/08-01

 

 

. 

. 

QUAND  ON GARDAIT LES PISSENLITS 

(Souvenirs du vieux Bruyères) 

Les personnes qui n'ont pas vécu à Bruyères ou dans sa région il y a une soixantaine d’années  ne vont pas manquer de se demander pourquoi "on gardait les pissenlits”... 

Le pissenlit est appelé plus communément dent-de-lion, nom que l'on retrouve dans le Latin Leontodon. Il  appartient à la famille des Composées, c'est-à-dire que son inflorescence est un capitule. Le fruit forme une sorte de "chandelle", les graines étant pourvues à leur extrêmité d'une ombrelle de soie blanche qui sert à la fois de moyen de transport et de parachute lorsque le vent les éparpille. 

Le pissenlit a toujours été apprécié tant comme salade d'hiver et de printemps que pour ses propriétés dépuratives et diurétiques. Anciennement, on se contentait de le récolter dans les prés et les champs où il pousse naturellement mais. Etant devenu l'objet d'un commerce important aux Halles, il a donné lieu à des cultures spéciales après amélioration et sélection qui ont permis d'obtenir des sujets à feuille plus entière que le pissenlit sauvage dont le limbe est finement découpé. 

La culture et la  récolte des graines sont l'objet de notre propos. Cette culture était naguère pratiquée intensément à Bruyères. On semait les graines-mères en plein champ, puis on repiquait les plants sur quatre lignes tirées au cordeau, séparées par un sentier. 
La propreté était entretenue par des binages à la main. 

Vers le début du mois de mai de l'année suivante, au moment de la floraison, tout le monde était sur pied de guerre car s’en suivait rapidement la montée à graines. C'est alors qu'il fallait "garder les pissenlits". Tout d'abord parce que les oiseaux, surtout les verdiers, les chardonnerets et les moineaux francs, s'abattaient sur le champ pour se régaler des graines dont ils étaient friands. Ensuite parce qu'il fallait cueillir les fleurs avant qu'elles soient transformées en chandelles. 

Pour chasser les oiseaux on avait imaginé différents systèmes en utilisant les "moyens du bord". Avant la saison, plusieurs rangs de piquets avaient été plantés. Leur sommet était muni d'un clou cavalier où passait un fil de fer auquel étaient suspendues des boites de 
conserve vides deux par deux (les berlingots). En tirant le fil de fer, les boites s'entre-choquaient et produisaient un bruit censé faire fuir les indésirables. Ce tintamarre était accompagné de cris de guerre: "au voleur" - "cha-cha les mognots" ou autres injures. 
Les bandes d’oiseaux revenaient dès que cessait le fracas. Alors on renforçait les moyens de défense par des épouvantails, des moulins à vent, on agitait des cliquettes, des crécelles, mais sans obtenir de résultats. Ces obstinés revenaient toujours. Quel travail !  
Si les finances du fermier le lui permettaient, il louait un gamin pour aider. C'était le gardeur de pissenlits. 

Au mois de mai il fait encore bien froid. Quelle que soit la température, il fallait garder les pissenlits du lever du soleil jusqu'au coucher. On se relayait pour cela. En cas de pluie, on se réfugiait dans la cabane pissenlits, sorte de guérite de bois garnie de paille où une planche servait de siège.  

La récolte était confiée aux femmes et  serrée au fur et à mesure dans un sac de toile muni de deux cordons noués à la taille du cueilleur. On cueillait des deux mains, deux rangs à droite, deux rangs à gauche. Parfois il fallait se presser, selon la température, le champs devenait tout blancs en quelques minutes. 

Les graines, une fois séchées à l'abri des courants d'air dans les greniers, étaient battues au fléau et tarardées. Un drap de lit recevait les précieuses semences à la sortie du tarare et les soies éliminées étaient évacuées vers l'extérieur de la grange dans un léger courant 
d'air savamment dosé. Puis elles étaient vendues aux maisons grainières pour lesquelles elles étaient souvent cultivées sous contrat. 

C'était l'une des graines les plus chères. On estime qu'il faut de 900 à 1700 graines pour faire...un gramme selon qu'elles ont été plus ou moins bien nourries. Cette culture a disparu de la région. On trouve toujours des pissenlits dans les champs au printemps. Ils 
ils sont devenus une herbe indésirable,  les chandelles s'envolent à tout vent, germent facilement et viennent envahir les jardins et les pelouses. 

Pour ceux qui n'ont pas connu cette époque, garder les pissenlits présente peut-être un certain charme : la campagne vert tendre au printemps, les arbres fruitiers couverts de fleurs. Mais à l'époque il n'y avait ni fête ni dimanche et bien souvent on était transi de 
froid dans la gelée blanche du matin qui risquait de "griller" une ou plusieurs cueilles, ou bien quand il fallait se presser de récolter après un orage. On était alors mouillé jusqu'à la ceinture. 

Et maintenant ?... Les maisons de graines continuent à vendre des semences de pissenlits pour les maraîchers et les jardiniers amateurs, mais d'où viennent-elles ? Certaines sont cultivées en Anjou, d'autres à l'étranger. On ne trouve plus personne qui accepte de travailler le samedi et le dimanche, surtout au mois de mai qui comporte beaucoup de jours fériés. 

On a donc imaginé de pratiquer cette culture sur des parcelles plus petites protégées des oiseaux par des filets. Alors il n'est plus besoin de les chasser. Quant aux cueillettes, elles se font les jours de semaine. Après tout, n'est-ce pas mieux ainsi ? 

Monique Berhuy

 haut de page